Le français G. Mélies, illusionniste, conçoit d'abord le film comme une succession de tableaux scéniques. Le cinéma n'est que la restitution d'un spectacle qui lui préexiste.
G. Mélies, Le Voyage dans la lune, 1902 (de 0' à 5'25).
Le montage naît quand des réalisateurs vont commencer à concevoir le film comme la composition de plusieurs regards plus que comme une succession de tableaux.
D. W. Griffith, The Birth of a nation, 1915 (de 179'45 à 180'10).
On peut attribuer trois grandes fonctions au montage :
- une fonction narrative : l'enchainement des plans raconte une histoire.
- une fonction expressive : l'enchainement des plans souligne l'intensité des émotions.
- une fonction discursive : l'enchainement des plans propose un point de vue, un discours sur le monde.
Ces fonctions sont plus ou moins développées selon le type de film : fiction, documentaire, film de propagande, etc.
Si la fonction expressive du cinéma a été principalement développée par l'américain D. W. Griffith, ce sont les cinéastes soviétiques qui se sont intéressés à sa fonction discursive.
Le réalisateur Eisenstein a développé plusieurs théories du montage, dont le fameux montage des attractions. Ce dernier tire son nom de deux mots, dont l'un vient de l'industrie ("assemblage des pièces de machine") et l'autre du music-hall ("entrée de clowns excentriques"). Son but est "une mise en scène active" au lieu du "reflet statique d'un évènement" : il s'agit de façonner l'émotion et la pensée du spectateur dans le sens désiré "à travers toute une série de pressions calculées sur son psychisme." (Le film : sa forme, son sens)
Un exemple de montage des attractions peut être trouvé dans la séquence des escaliers, du Cuirassé Potemkine (de 47'40 à 54'16).
Eisenstein, Le Cuirassé Potemkine, 1925, de 13'35 à 14'45
Le montage peut jouer sur le rythme et l'ordre des plans.
Au niveau du rythme, on peut opposer montage lent et montage rapide (jusqu'au fast cut contemporain).
Au niveau de l'ordre, on distingue :
Steven Spielberg, Minority Report, 2003, de 1' à 13'.
Plans rếvés par les voyants |
Plans 'réels' : Howard Marks |
Plans 'réels' : l'enquête de John Anderton |
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Caractéristiques |
Images troubles, sombres. |
Images pâles, aux couleurs estompées. |
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Ordre des plans |
Images placées dans le désordre. Images qui sont antérieures au présent de l'histoire. |
Images placées dans l'ordre. Images qui correspondent au présent de l'histoire. A partir de 4'04, montage alterné. |
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Rythme des plans |
Plans brefs |
Plans de taille variable. A partir de 11'56, accélération du rythme, très rapide. |
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Liaisons des plans |
Des fondus-enchaînés. Univers du rêve. |
Des coupes franches. |
Des coupes franches, mais beaucoup de fondus avec les images du crime, vues en transparence. |
C'est en fait le montage non-linéaire qui rend possible toute cette histoire : c'est parce qu'on peut voir les plans avant qu'ils n'adviennent, qu'on peut essayer de les empêcher.
Le travail de John Anderton s'apparente à un travail de monteur : il découpe les plans, les ordonne, les assemble (comme dans les plans du manège).
Deux plans peuvent être séparés par :
Alors que les trois premiers servent principalement de ponctuation entre les séquences, la coupe franche est dominante au sein des séquences.
Pour assurer la continuité entre deux plans, le cinéma utilise le principe du raccord. On rappellera :
Dans cet extrait de L'Année dernière à Marienbad (A. Resnais, 1961, de 16'20 à 18'20), montrez comment le montage engendre un sentiment de continuité malgré les changements.
Ici, la continuité des plans est assurée par des raccords visuels (dans l'axe, de mouvement, de regard). Mais cette continuité est contestée par des faux raccords (changements soudains de lieux, de vêtements).
Affirmation d'une continuité malgré les changements : "Vous êtes toujours la même."
On oppose raccord et faux raccord : le premier donne une impression de continuité, le second introduit une incohérence et un effet de rupture au sein d'une séquence.
Le cinéma classique américain utilise le raccord pour dissimuler les coupes au sein des séquences et donner l'impression d'une histoire qui se raconte toute seule. Le cinéma français des années 60, au contraire, comme celui de la Nouvelle Vague ou d'A. Resnais, soulignent le travail de réalisation par l'utilisation de faux raccords volontaires.
Dans cet extrait d'A Bout de souffle (1960, de 35' à 35'30), observez les faux raccords.
Le 'jump cut' consiste en une coupure au sein d'un plan, sans changement notable de la place de la caméra, qui donne une impression de saute. Fréquemment utilisé dans les reportages audio-visuels, c'est aussi la marque de certains films de la Nouvelle Vague, comme A Bout de souffle (1960, 21'10-22'50).
L'histoire du cinéma accorde une place importante au plan-séquence, non seulement parce qu'il s'agit d'un exercice de virtuosité, mais surtout parce qu'il constitue l'expression de choix esthétiques ou moraux.
Dans un article célèbre, A. Bazin pose le principe du 'montage interdit' : "Quand l'essentiel d'un évènement est dépendant d'une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l'action, le montage est interdit" (Qu'est-ce que le cinéma ?, éd. du Cerf, 1975).
Le début de Touch of evil d'O. Welles illustre ce principe : la continuité du plan maintient constamment les personnages en présence de la bombe déposée au début de la séquence.
La virtuosité consiste aussi parfois à cacher les raccords, comme dans le film de Hitchcock, La Corde.
B. de Palma est un admirateur de Hitchcock. Dans la séquence d'ouverture de Snake Eyes (1998, du début à 12'45), identifiez la dizaine de raccords qu'il a dissimulés.
Admirateur de Hitchcock, B. de Palma a repris le principe de La Corde : un faux plan séquence avec des raccords dissimulés. Ecran filmé dans le cadre, chiffon qui essuie l'objectif, silhouettes qui passent, panoramiques filés permettent de masquer les raccords.
Un cinéaste comme Gus Van Sant remet en cause la direction prise par le cinéma depuis D. W. Griffith : celle d'une representation discontinue de la réalité. Dans Elephant, il construit son récit de vastes boucles de plans-séquences qui se croisent.
si l'on considère que le montage est l'assemblage des plans, il faut alors aussi évoquer les juxtapositions de plusieurs plans au sein de l'image.
Dans ce cas, les plans n'apparaissent pas successivement, mais simultanément.
L'insertion d'un plan dans le plan, au moyen d'un écran de télévision ou de cinéma par exemple, comme dans Snake Eyes, permet de mettre en abyme la représentation audio-visuelle.
Le 'split screen' permet de monter deux plans (ou plus) dans la même image.
500 Days of Summer (2008, de 67'55 à 70') |
The Green Hornet (2011, de 71'10 à 72'18) |
Vincent Pinel, Le montage : l'espace et le temps du film, éd. Cahiers du cinema, 2001.
Vincent Amiel, Esthétique du montage, éd. Armand Colin 2005.