Biographie de Wes Anderson | Synopsis | Étude de l'affiche | Pistes d'études | Étude de séquences | Fiche technique | Découpage technique | Bibliographie
L'action prend place sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre, pendant l'été 1965. Sam Shukasky, un orphelin, passe l'été dans un camp de scouts kakis. Suzy Bishop est la fille d'un couple d'avocats qui ne s'aiment plus. Les deux adolescents, qui s'étaient connus lors d'une répétition pour un opéra de Britten, L'Arche de Noé, fuguent pour remonter une ancienne piste indienne et parvenir à une crique qu'ils baptisent 'Moonrise Kingdom'. Les adultes de l'île - le chef scout, le policier, les parents de Suzy - se mobilisent pour les retrouver : un ouragan menace l'île. Une femme nommée 'Services sociaux' décide de placer Sam, quand il sera retrouvé, dans une institution.
American Express, 2006. |
SoftBank, Internet et télécommunications, Japon, 2008. |
Stella Artois, 2010. |
France. |
États-Unis. |
Le film est encadré par un prologue et un épilogue. Dans le premier, un personnage nous indique le lieu et l'époque de l'action. Bonnet vert, duffle-coat rouge, on est quelque part entre un lutin et le commandant Cousteau. Le personnage est présenté dans un 'jump cut' rapide qui suggère qu'il passe d'un point de l'île à un autre.
Simple narrateur un peu poseur au début, son statut se révèle progressivement plus complexe. Il intervient à deux reprises dans le film. La première fois, il explique avoir formé Sam à la cartographie, et indique aux personnages où le trouver. Dans la seconde, il souligne la proximité de l'ouragan, et oriente un projecteur pour régler l'éclairage de la scène.
Le statut du personnage est donc complexe : narrateur omniscient extérieur à l'histoire, personnage qui y joue un rôle, metteur en scène ?
Le film se déroule sous la menace de l'ouragan, annoncée dès le début par le narrateur, pour dans 3 jours. Cet ouragan trouve un écho et une signification avec la représentation de l'opéra de Britten. Le déluge a été envoyé par Dieu pour détruire un monde corrompu et faire naître une humanité renouvelée.
Les adultes offrent des figures d'incompétence. Dès les premières secondes, le chef de troupe Ward se révèle incapable de faire faire quoi que ce soit de correct à ses scouts.
Le couple Bishop vit sous le même temps sans jamais dialoguer, capitaine Sharp se caractérise par une triste vie de célibataire, les parents d'accueil de Sam le rejettent à la première occasion, "Action sociale" est tellement inhumaine qu'elle n'a pas de nom.
Le costume et les couleurs qui entourent cette dernière soulignent sa froideur.
On comprend dès lors le désir des deux adolescents de fuir ce monde d'échecs et de mélancolie.
Après le déluge, les adultes ont évolué. La famille Bishop est réconciliée. Désormais, les deux parents se servent du mégaphone pour appeler à table. Le chef Ward a désormais une compagne. Capitaine Sharp a un fils adoptif : le costume de policier junior établit de façon comique leur filiation.
Ce film, j'ai délibérément choisi de lui donner l'aspect d'une fable, et dans les images, j'ai souhaité donné le sentiment d'un livre d'histoires.
Terry Gross, Fresh Air, "Wes Anderson, Creating A Singular 'Kingdom'", National Public Radio, 29/05/2012.
A l'opposé de la tendance actuelle à la 3D, le film Moonrise kingdom semble se dérouler en deux dimensions. A l'image du générique, les mouvements des personnages et de la caméra suivent généralement un axe horizontal ou vertical, qui restent dans le plan de l'image. Ce n'est pas un film sur l'errance. Les trajets sont linéaires. Sam insiste beaucoup sur ses talents de cartographe : les deux personnages savent exactement où ils sont et où ils veulent aller. Beaucoup de plans sont des travellings latéraux de gauche à droite.
Ce qui n'empêche pas Wes Anderson de jouer avec la profondeur de champ. Il y a souvent d'ailleurs un contrepoint avec une action principale, et une action secondaire, presque illustrative, au second plan, l'une grave, l'autre amusante.
L'image est extrêmement composée, souvent marquée par un axe de symétrie vertical.
Cette symétrie est particulièrement visible dans le cas des split screens.
Cette volonté de proposer un livre d'images se retrouve dans le montage : aucun fondu, un montage cut uniquement qui fait se succéder les plans.
Le film a été tourné en super 16mm, puis élargi en 35mm. Une attention particulière a été apportée au rendu des paysages et aux couleurs automnales, où le jaune et ses dérivés dominent.
Le directeur de la photographie, Robert Yeoman, explique :
Nous savions qu'avec le super 16mm, nous pourrions garder notre ensemble caméra beaucoup plus mobile. Wes voulait que ce film soit fait à l'ancienne. Il voulait rester libre de toutes les restrictions techniques habituelles et ne pas dépendre des équipements conventionnels de cinéma tels que les voitures équipées de caméra, les steadicams et les grues. Il voulait revenir à l'essentiel.
Le choix de la pellicule est aussi un choix esthétique : la texture et le grain de l'image renvoient aux films réalisés avant l'arrivée du numérique.
Les deux personnages principaux sont très liés aux images. Sam est peintre. Il fait des tableaux, principalement des aquarelles, quelques nus, au grand désespoir des Bishop.
Suzy, elle, observe. L'image de Suzy qui scrute avec ses jumelles revient de façon obsessionnelle du début à la fin du film. Selon la jeune fille, c'est son pouvoir magique : "voir de plus près, même ce qui est proche."
Les images dans le film oscillent entre réalité et rêve. Le film s'ouvre sur un tableau : la demeure des Bishop encadrée comme une tapisserie, image d'une maison idéale, rêvée, pour contraster quelques instants plus tard avec la maison réelle, lieu de silences et de divisions, dont Suzy rêve de s'échapper. De la même façon, le film se termine sur un tableau : Sam ne peint pas Suzy, qu'il a sous les yeux, mais la crique où ils ont vécu tous deux une journée. Dans les deux cas, le lieu réel s'oppose au lieu du rêve ou du souvenir.
Le film est caractérisé par l'absence de réalisme. A la façon de Pierrot le fou, Moonrise Kingdom privilégie l'effet visuel par rapport à la crédibilité.
Le parcours de Sam et Suzy, par exemple, paraît être une boucle crée par le montage : on a le sentiment de passer plusieurs fois au même endroit dans des sens différents.
L'image et le montage de certaines séquences fait référence à l'univers des cartoons. Il s'agit tantôt d'impossibilités flagrantes (ce que Sam fait cuire ne ressemble pas beaucoup à un poisson péché, quelque part dans les bagages de Suzy, se trouvait une quantité impressionnante de boîtes pour chat ; Sam, frappé par la foudre, n'a qu'un peu de suie sur le visage, etc.), tantôt d'effets visuels qui évoquent l'univers des cartoons (la flèche qui fend l'air, les ciseaux de gauchère, le clocher frappé par la foudre).
A côté de ces effets comiques liés à un montage souvent court, il est fréquent que Wes Anderson utilise des plans longs. C'est le cas lors des travellings, mais aussi lors d'un panoramique qui montre le point de vue du sommet où les deux adolescents font une pause.
J'ai toujours été attiré par les plans longs dans les films. Au cinéma, vous savez, j'aime cette expérience de voir les acteurs jouer toute la scène, d'un bout à l'autre, et peut-être c'est un peu comme le théâtre - ne pas avoir de coupures. Il y a quelque chose de particulier, cela donne une tension, et, pour moi, une sorte d'excitation.
Terry Gross, Fresh Air, "Wes Anderson, Creating A Singular 'Kingdom'", National Public Radio, 29/05/2012.
La théâtralité est également explicitement présente, avec l'opéra de Britten. C'est souvent le cas dans le cinéma de Wes Anderson (on pense aux pièces présentes dans Rushmore).
J'ai toujours voulu travailler au théâtre. J'ai toujours éprouvé le charme d'être dans les coulisses et cette excitation, mais je ne l'ai jamais fait - pas depuis que j'étais en sixième. Mais j'ai inclus beaucoup de pièces de théâtre dans mes films. J'ai l'impression que peut-être le théâtre est une partie de mon travail de cinéaste.
Terry Gross, Fresh Air, "Wes Anderson, Creating A Singular 'Kingdom'", National Public Radio, 29/05/2012.
Le film fait un large usage de musiques classiques : au générique sont crédités Mozart, Schubert, Camille Saint-Saens, et surtout Benjamin Britten, dont la musique apparaît dès le générique de début.
Le film commence par The Young's Person Guide to the orchestra, une composition célèbre de Britten, écrite d'après un thème de Purcell : les instruments de l'orchestre y sont présentés un à un, et j'en ai profité pour faire de même avec chacun de mes personnages.
Wes Anderson cité par Aurélien Ferenczi, "La vie acoustique des films de Wes Anderson", Télérama, 19/05/2012.
L'opéra Noye's Fludde (1958) accompagne le film.
Alexandre Desplat est l'auteur du thème musical du film, The Heroic Weather - Conditions of the universe. Dans le générique de fin, il en propose une version didactique inspirée de The Young Person's Guide to the orchestra.
On entend aussi plusieurs chansons d'Hank Williams, célèbre chanteur de country.
Le choix est lié au personnage qu'incarne Bruce Willis, un flic solitaire, un peu malheureux. Dans la première scène où il apparaît, il y a un poste de radio. Qui peut-il écouter, me suis-je dit ? Hank Williams, bien sûr.
Wes Anderson cité par Aurélien Ferenczi, "La vie acoustique des films de Wes Anderson", Télérama, 19/05/2012.
Enfin, la chanson préférée de Suzy est une chanson française, Le Temps de l'amour, interprétée par Françoise Hardy.
Le film fait de nombreux clins d'oeil au cinéma français, en particulier Pierrot le fou.
On retrouve bien sûr le thème principal, un couple en fuite, mais aussi de nombreux détails, comme les ciseaux de gauchère, et surtout une façon de raconter, inspirée des bandes dessinées, comme Les Pieds nickelés qui apparaissent tout au long du film de Godard.
Sam Shukasky : Jared Gilman.
Suzy Bishop Kara Hayward.
Capitaine Sharp : Bruce Willis.
Chef de troupe Ward : Edward Norton.
Walt Bishop : Bill Murray.
Laura Bishop : Frances McDormand.
Cousin Ben : Jason Schwartzman.
Social Services : Tilda Swinton.
Le narrateur : Bob Balaban.
Commandant Pierce : Harvey Keitel.
Aurélien Ferenczi, "La vie acoustique des films de Wes Anderson", Télérama, 19/05/2012.
Kodak, InCamera, Super 16 Frames the Story of Teenaged Sweethearts in Moonrise Kingdom, 14/05/2012.