"La critique est facile..."

"La critique est aisée mais l'art est difficile" (Philippe Néricault, Le Glorieux, 1732)

Problématique : La critique, jugement facile ou art difficile ?

Séance 01

Critique, mode d'emploi

Oral

Qu'est-ce qu'une critique ? Comment est-elle écrite ?

Observation

Quelle est la composition de cette critique ?

Synthèse

Rédigez un mode d'emploi permettant de rédiger une critique.

Tu as deux ans – bientôt trois – et tu lis les Cahiers. Quelle chance ! Donne un peu d'argent à tes parents pour qu'ils t'accompagnent voir Monsieur et monsieur. Ils découvriront trois mini films formidables tournés entre 1965 et 1973 par un maître de l'animation tchèque, Bretislav Pojar, et son assistant Miroslav Stepánek. Les courts métrages sont un peu anciens, d'accord ; mais dis-leur qu'ils datent à peu près de la grande époque de Colargol, l'ours qui chante en fa et en sol. A la sortie de la séance, tu pourras leur expliquer que tu as un peu triché, parce que le réalisateur de Colargol, Tadeusz Wilkosz, était polonais… Que les plantigrades de M. Pojar - c'est un truc pour ne pas répéter " ours " - appartiennent à une autre école. Que le réalisateur, même s'il a longtemps utilisé l'animation en volume comme son maître Jiri Trnka, utilise dans ses films de télévision des marionnettes en " semi-relief ". Un côté est plat et l'autre en volume. C'est plutôt malin car, du coup, le réalisateur peut aussi se servir de papiers découpés qu'il déplace d'une image à l'autre. Si tu as encore un peu de temps à accorder à tes parents avant qu'ils aillent se coucher, tu pourras aussi leur apprendre que les trois films qu'ils viennent de voir appartiennent à une série de onze épisodes, d'abord diffusés en deux cycles. Entre 1965 et 1967, d'abord. Entre 1970 et 1973 ensuite, au moment où M. Pojar commence à faire de nombreux aller-retour entre son pays et le Canada. Demande alors à papa s'il se rappelle ce qui s'est passé en Tchécoslovaquie en 1968. Et pourquoi les deux petits ours, vrais mignons et faux jumeaux – l'un est rusé, l'autre naïf - passent leur temps à transformer la réalité ou à se raconter leurs rêves. Mais aussi, dans le tout dernier épisode à avoir été tourné (Blaise, le balaise), à essayer de récupérer les navets et les carottes volés par un bouc menteur et prestidigitateur. Tu pourras même faire remarquer qu'il est tout le temps question de magie dans ces films… Bon, papa te répondra sûrement qu'il a surtout vu les aventures de deux petites peluches très craquantes et que les films de sa jeunesse c'était vraiment mieux que ceux d'aujourd'hui, pleins de violence et de grossièretés. Qu'il a de la chance que tu l'emmènes voir des dessins animés aussi rigolos et qu'il faut que tu le laisses dormir. À toi, alors, de lui murmurer : " pas dessins animés, papa, films d'animation. "

Thierry Méranger, Les Cahiers du Cinéma, 2006.

Pour Christopher Nolan comme pour ses compatriotes britanniques, le nom de Dunkerque évoque un sentiment de fierté nationale. Là s'est écrite une page héroïque de leur histoire, même s'il s'agit d'une évacuation. Mai 1940. Sur la plage de Dunkerque, près de 200 000 soldats anglais se retrouvent encerclés par les Allemands. Refusant la reddition, les Britanniques décident d'organiser une rocambolesque opération de repli (appelée Dynamo).

Pour résumer cet événement glorieux, le réalisateur a choisi trois terrains de bataille et trois unités de temps. Une semaine sur la plage, où l'on suit le jeune soldat Tommy (Fionn Whitehead), qui échoue à partir. Un jour en mer, sur un petit voilier qui s'en va sauver des combattants. Enfin, une heure dans un Spitfire, fleuron de la Royal Air Force, avec un Tom Hardy glorieux, aux commandes de l'appareil. Lui comme les autres sont moins des personnages que des symboles. De dignité (le capitaine du voilier), d'humanité dans l'effroi (le jeune soldat).

Totale immersion au cœur de l'action : c'est le leitmotiv de ce film de guerre. Efficace, à coup sûr. Impressionnant en terme d'impact physique : on ressent de plein fouet le sifflement des balles, le souffle des bombes, la poussée des vagues. Pas de répit, le danger est permanent, sans cesse relancé. Christopher Nolan, nouveau roi d'Hollywood réputé pour ses (dé)constructions baroques, continue de fragmenter son récit, mais en tempère la complexité. Pour une raison simple : il n'est question que de gestes de survie. Pas besoin de mots pour ça – le film est très laconique, presque muet. Mais lyrique. C'est une sorte d'oratorio profane que le cinéaste orchestre. Comme un hommage solennel aux soldats : ceux qui ont disparu comme ceux revenus de l'enfer, qui ont craint, un moment, de passer pour des lâches.

L'équipage d'un destroyer qui se retrouve soudain noyé sous le coup d'une torpille. Un aviateur qui a réussi son amerrissage, mais qui reste coincé dans son cockpit. Des hommes dans l'eau, brûlés vif par une nappe de mazout en feu. Ce sont là les séquences marquantes d'un film qui n'apporte, malgré tout, rien de vraiment nouveau, à la différence d'Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg ou de La Ligne rouge, de Terrence Malick, auquel on pense parfois, dans sa manière de flotter entre la vie et la mort. Plus gênant : l'emballement patriotique très appuyé, lorsque surgit la flottille civile, valeureuse. Tout juste si, à la fin, l'hymne britannique ne se met pas à résonner. Un peu too much.

Jacques Morice, à propos du film Dunkerque, Télérama, le 19 juillet 2017.

Séance 02

À quoi bon la critique ?

Oral

Le poète Baudelaire demandait : "À quoi bon la critique ?" Que répondriez-vous ?

Pistes

Lecture

1. Quelle définition Jean-Michel Frodon donne-t-il de l'oeuvre d'art ?

2. Selon lui, qu'est-ce que le critique ne doit pas faire ? Et, au contraire, qu'est-ce qu'il doit faire ?

Débat

Selon vous, la critique est-elle vraiment utile ?

La critique est une activité fondée sur le fait qu'elle concerne un type d'objets particulier, qui appartient à la catégorie des œuvres d'art. La critique a été inventée par Diderot à la fin du XVIIIe siècle, elle a été développée et portée à son sommet par Baudelaire, l'un et l'autre utilisant un art, le leur, celui de l'écriture, pour ouvrir un nouvel accès à un autre art, dans leur deux cas la peinture. Tous les critiques n'écrivent pas comme Diderot et Baudelaire, loin s'en faut, mais le travail critique s'appuie sur une exigence d'écriture, une ambition que le travail de la phrase va donner accès, selon un mode particulier, à ces objets eux aussi particuliers que sont les œuvres d'art.

La caractéristique d'une œuvre d'art est d'être un objet ouvert (selon l'expression d'Umberto Eco), un objet dont on peut décrire les composants mais dont le résultat excède, et excédera toujours ce qu'on peut en analyser et en expliquer. Et le travail du critique n'est pas, surtout pas, d'expliquer ce mystère, de répondre à la question que pose toute œuvre d'art. Celle-ci doit rester ouverte, pour être habitée librement par chacun de ses spectateurs – ou lecteurs, ou auditeurs, selon l'art dont il s'agit.

Au contraire, le travail du critique est de déployer le mystère, d'en ouvrir l'espace à ses lecteurs pour que ceux-ci y pénètrent plus aisément, le parcourent, l'habitent chacun à sa manière, pour que chacun construise son propre dialogue sans fin avec l'œuvre en question. [...]

Est-ce à dire que tout film est une œuvre d'art ? Bien sûr que non. Mais tout film, quelles que soient ses conditions de production, en contient la promesse, tenue ou non. Dans les faits, un nombre relativement restreint de films sont de véritables œuvres d'art, la plupart cherchent au contraire des objectifs utilitaires, mécaniques, qui asservissent leurs spectateurs à des stratégies qui peuvent être sophistiquées mais qui à la fin visent au contrôle des émotions, des pensées et des comportements. La plupart évite d'être des œuvres d'art, avec la part d'incertitude, de trouble que cela suppose nécessairement. Le travail du critique est alors de mettre en évidence ces mécanismes et d'en dénoncer les effets.

Mais ce travail peut être aussi de repérer comment, malgré une visée purement utilitaire et instrumentale, une dimension artistique apparaît dans un film qui ne le cherchait pas : une des grandes beautés du cinéma est d'être capable d'art même quand ceux qui le font n'en ont pas le projet, se contentant pour leur part des autres dimensions du cinéma, le commerce, la distraction et le document.

Dans tous les cas, affrontant ce qu'il perçoit de mystère ou d'absence de mystère et tâchant de le partager par l'écriture, le critique n'énonce jamais que sa propre vérité. Celle des sentiments qu'il a éprouvés et que sa supposée capacité d'écriture lui permet de construire, en phrases et en idées, à partir de ses propres émotions, pour accompagner ensuite chacun vers la construction de sa propre opinion. Un critique ne dicte pas son avis sur les films, il n'a aucun droit à faire une chose pareille et d'ailleurs quel intérêt cela aurait-il ? Il travaille à construire un espace de rencontre plus vaste et plus riche entre une œuvre et des personnes, qui sont à la fois des lecteurs et des spectateurs.

D'ailleurs, une bonne critique est intéressante même si on n'a pas vu le film dont elle parle, elle devrait être de toute façon capable de susciter des images et des idées chez le lecteur – même si c'est mieux d'attendre d'avoir vu le film avant de lire la critique.

Aujourd'hui, la situation de la critique est remise en question par les nouveaux moyens de communication. On dit qu'avec le développement d'Internet la critique a perdu de son importance ou de sa nécessité. Je ne le crois pas. [...]

Tout le monde peut commenter les films? C'est vrai, mais ça a toujours été vrai : les films, ça fait parler. Tant mieux! C'est une de leurs grandes qualités. Autrefois on discutait en sortant de la salle avec son amie ou ses copains, ou le lendemain au bureau ou dans la cour de récréation, maintenant on le fait sur le web et des milliers de gens "entendent" ce qui autre fois restait destiné à un petit groupe. Mais ce qu'on disait à ses copains, et on avait bien raison de le faire, n'était pas de la critique. Les millions de "c'est génial", "c'est nul", "t'as vu les seins de l'actrice?" et autres "trop craquant" ne sont pas non plus de la critique, même s'il s'agit d'une parole légitime, la verbalisation d'impressions ressenties.

En revanche, et ça c'est effectivement nouveau, il y a sur Internet des gens qui, à titre bénévole et non institutionnel, sans appartenir à un média établi, font un véritable travail critique. Ce travail requiert un effort d'écriture et de pensée, et c'est une excellente chose que l'accès à l'activité critique ait ainsi pu se démocratiser – à condition de ne pas tout confondre cette activité là avec l'immense masse de paroles spontanées.

La multiplication des moyens de diffusion et notamment Internet, en rendant potentiellement tous les films accessibles, rend encore plus nécessaire l'élaboration de discours qui aident à construire ou à reconstruire sa place de spectateur. Parmi les centaines de milliers de films aujourd'hui accessibles en ligne, le marketing travaille inlassablement, et avec de très gros moyens, à faire en sorte que tout le monde choisisse les mêmes films, se soumette à la même idée du cinéma. Même la Théorie de la longue traîne, variante contemporaine de l'idéologie de la main invisible du marché qui dans sa grande bonté finirait par profiter à tous, est en permanence contredite par les phénomènes de concentration et les difficultés croissantes d'innombrables films à être vus – a fortiori à être vus dans des conditions qui nourrissent leurs auteurs.

Jean-Michel Frodon, "A quoi sert la critique de cinéma ?", Slate.fr, 18 novembre 2010.

Séance 03

Negative Space

Oral

1. Quelles couleurs sont utilisées ?

Que pouvez-vous dire sur les personnages et leur relation ?

Ce film est-il réaliste ?

Quelles techniques d'animation sont utilisées ?

Quelle leçon peut-on tirer de ce film ?

Inspiré d'un poème de Ron Koertge, le film explore la relation d'un père et de son fils. Le court-métrage, réalisé dans le Loir-et-Cher, a été nommé aux Oscars 2018 dans la catégorie animation.

Max Porter, Ru Kuwahata, Negative Space, 2017.

Écriture

Ébauchez une critique du film Negative Space telle qu'elle pourrait paraître dans un journal. Vous y intégrerez les éléments échangés à l'oral.

Évaluation

Critique

Évaluation

L'échelle s'appuie sur les aptitudes indiquées dans le Bulletin officiel n°17 du 25 avril 2019.

Éléments restrictifs

Une copie ne peut atteindre la moyenne si l'un des éléments suivants est présent : la consigne n'est pas du tout respectée / le devoir n'est pas compréhensible en plusieurs endroits / le devoir est très court.

/20 De 1 à 5 De 6 à 10 De 11 à 15 De 16 à 20
Lire, analyser, interpréter des oeuvres

La critique parle de Negative Space.

La critique propose plusieurs remarques justes.

La critique développe plusieurs analyses intéressantes.

Des analyses fines sont développées et une lecture personnelle s'exprime.

Construire une réflexion

La critique donne des informations et propose un point de vue sur le film.

La critique donne des informations pertinentes et défend un point de vue sur le film à travers un ou deux arguments convaincants.

La critique donne des informations éclairantes et défend un point de vue sur le film à travers des arguments convaincants et des exemples précis.

Mobiliser sa culture

La critique mentionne une ou deux références cinématographiques issues de films très connus.

La critique s'appuie sur des références cinématographiques issues de films connus.

La critique s'appuie sur des références cinématographiques issues d'une culture personnelle.

Maîtriser la langue et l'expression

La langue est partiellement maîtrisée.

Des efforts d'expressivité sont faits.

La langue est correctement maîtrisée.

La critique a "du style" : elle est inventive dans son écriture.

La langue est bien maîtrisée.

Le vocabulaire est précis et varié.