Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle.
Problématique générale : Cyrano de Bergerac, poème lyrique sur l'amour, ou spectacle d'actions et d'aventures ?
1. Quels sont les mouvements littéraires qui dominent la fin du XIXème siècle ?
2. Quelle est leur influence sur le théâtre ?
À propos de la pièce, l'acteur Michel Vuillermoz affirme : "C'est la plus belle partition dont un comédien puisse rêver" (Nathalie Simon, 'Ces Cyrano qui ont du nez', Le Figaro, 11/06/2013).
En vous servant de la planche ci-contre, établissez un plan du décor tel qu'il est indiqué dans la didascalie initiale.
Réalisez une bande-son de cet extrait.
Pour les bruitages et sons d'ambiance, vous pouvez utiliser les objets environnants.
Étudiez ce passage en montrant :
- en quoi cette scène d'exposition est originale
- en quoi cet extrait annonce les grands thèmes de la pièce
Quelle est la place de la nourriture dans cette pièce ?
Le Public, qui arrive peu à peu. Cavaliers, Bourgeois, Laquais, Pages, Tire-laine, Le Portier, etc., puis les Marquis, CUIGY, BRISSAILLE, La Distributrice, les Violons, etc.
(On entend derrière la porte un tumulte de voix, puis un cavalier entre brusquement.)
Le portier, le poursuivant.
Holà ! vos quinze sols !
Le cavalier.
J'entre gratis !
Le portier.
Pourquoi ?
Le cavalier.
Je suis chevau-léger de la maison du Roi !
Le portier, à un autre cavalier qui vient d'entrer.
Vous ?
Deuxième cavalier.
Je ne paye pas !
Le portier.
Mais…
Deuxième cavalier.
Je suis mousquetaire.
Premier cavalier, au deuxième.
On ne commence qu'à deux heures. Le parterre
Est vide. Exerçons-nous au fleuret.
(Ils font des armes avec des fleurets qu'ils ont apportés.)
Un laquais, entrant.
Pst… Flanquin…
Un autre, déjà arrivé.
Champagne ?…
Le premier, lui montrant des jeux qu'il sort de son pourpoint.
Cartes. Dés.
(Il s'assied par terre.)
Jouons.
Le deuxième, même jeu.
Oui, mon coquin.
Premier laquais, tirant de sa poche un bout de chandelle qu'il allume et colle par terre.
J'ai soustrait à mon maître un peu de luminaire.
Un garde, à une bouquetière qui s'avance.
C'est gentil de venir avant que l'on n'éclaire !…
(Il lui prend la taille.)
Un des bretteurs, recevant un coup de fleuret.
Touche !
Un des joueurs.
Trèfle !
Le garde, poursuivant la fille.
Un baiser !
La bouquetière, se dégageant.
On voit !…
Le garde, l'entraînant dans les coins sombres.
Pas de danger !
Un homme, s'asseyant par terre avec d'autres porteurs de provisions de bouche.
Lorsqu'on vient en avance, on est bien pour manger.
Un bourgeois, conduisant son fils.
Plaçons-nous là, mon fils.
Un joueur.
Brelan d'as !
Un homme, tirant une bouteille de sous son manteau et s'asseyant aussi.
Un ivrogne
Doit boire son bourgogne…
(Il boit.)
à l'hôtel de Bourgogne !
Le bourgeois, à son fils.
Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ?
(Il montre l'ivrogne du bout de sa canne.)
Buveurs…
(En rompant, un des cavaliers le bouscule.)
Bretteurs !
(Il tombe au milieu des joueurs.)
Joueurs !
Le garde, derrière lui, lutinant toujours la femme.
Un baiser !
Le bourgeois, éloignant vivement son fils.
Jour de Dieu !
- Et penser que c'est dans une salle pareille
Qu'on joua du Rotrou, mon fils !
Le jeune homme.
Et du Corneille !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, I, 1, 1897.
Quel est l'intérêt de cette scène ?
Commentez la mise en scène de D. Podalydès pour la Comédie Française, de 11' à 14'.
Imaginez et écrivez une saynète comique.
Lors de la dernière répétition, Edmond Rostand, les comédiens et le décorateur sont présents. Une dispute éclate à propos de la mise en scène.
Votre invention, qui pourra comprendre plusieurs scènes, s'inscrira dans le registre comique, dont elle utilisera toutes les formes.
Vous pouvez vous inspirer des informations contenues dans votre édition p. 18 à 22 sur la création de la pièce.
Montfleury, après avoir salué, jouant le rôle de Phédon.
"Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
Se prescrit à soi-même un exil volontaire,
Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois… »
Une voix, au milieu du parterre.
Coquin, ne t'ai-je pas interdit pour un mois ?
(Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures.)
Voix diverses.
Hein ? - Quoi ? - Qu'est-ce ?…
(On se lève dans les loges, pour voir.)
Cuigy.
C'est lui !
Le Bret, terrifié.
Cyrano !
La voix.
Roi des pitres,
Hors de scène à l'instant !
Toute la salle, indignée.
Oh !
Montfleury.
Mais…
La voix.
Tu récalcitres ?
Voix diverses, du parterre, des loges.
Chut ! - Assez ! - Montfleury, jouez ! - Ne craignez rien !…
Montfleury, d'une voix mal assurée.
"Heureux qui loin des cours dans un lieu sol… »
La voix, plus menaçante.
Eh bien ?
Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles,
Une plantation de bois sur vos épaules ?
(Une canne au bout d'un bras jaillit au-dessus des têtes.)
Montfleury, d'une voix de plus en plus faible.
"Heureux qui… »
(La canne s'agite.)
La voix.
Sortez !
Le parterre.
Oh !
Montfleury, s'étranglant.
"Heureux qui loin des cours… »
Cyrano, surgissant du parterre, debout sur une chaise, les bras croisés, le feutre en bataille, la moustache hérissée, le nez terrible.
Ah ! je vais me fâcher !…
(Sensation à sa vue.)
Les Mêmes, CYRANO, puis BELLEROSE, JODELET.
Montfleury, aux marquis.
Venez à mon secours,
Messieurs !
Un marquis, nonchalamment.
Mais jouez donc !
Cyrano.
Gros homme, si tu joues
Je vais être obligé de te fesser les joues !
Le marquis.
Assez !
Cyrano.
Que les marquis se taisent sur leurs bancs,
Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans !
Tous les marquis, debout.
C'en est trop !… Montfleury…
Cyrano.
Que Montfleury s'en aille,
Ou bien je l'essorille et le désentripaille !
Une voix.
Mais…
Cyrano.
Qu'il sorte !
Une autre voix.
Pourtant…
Cyrano.
Ce n'est pas encor fait ?
(Avec le geste de retrousser ses manches.)
Bon ! je vais sur la scène, en guise de buffet,
Découper cette mortadelle d'Italie !
Montfleury, rassemblant toute sa dignité.
En m'insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
Cyrano, très poli.
Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n'êtes rien,
Avait l'honneur de vous connaître, croyez bien
Qu'en vous voyant si gros et bête comme une urne,
Elle vous flanquerait quelque part son cothurne.
Edmond de Rostand, Cyrano de Bergerac, I, 3 et 4, 1897.
1. Observez la scène qui va de 1'25'00 à 1'28'50. Qui sont les acteurs avec des tenues excentriques ?
2. En vous appuyant sur le texte de la pièce, indiquez quel parcours doit suivre Christian pour conquérir le coeur de Roxane ?
La Carte de Tendre, environ 1654.
Vous étudierez cet extrait en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :
- un éloge poétique du baiser
- une scène qui mêle comique et pathétique
1. Duc anglais, amant de la reine de France dans Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas.
2. Personnage de l'Évangile, Lazare, pauvre
et malade, vivait des restes de la table d'un homme
riche.
Roxane, s'avançant sur le balcon.
C'est vous ?
Nous parlions de… de… d'un…
Cyrano
Baiser. Le mot est doux !
Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose ;
S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
Ne vous en faites pas un épouvantement :
N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
Quitté le badinage et glissé sans alarmes
Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
Glissez encore un peu d'insensible façon :
Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson !
Roxane
Taisez-vous !
Cyrano
Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ?
Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ;
C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d'un peu se respirer le cœur,
Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme !
Roxane
Taisez-vous !
Cyrano
Un baiser, c'est si noble, madame,
Que la reine de France, au plus heureux des lords,
En a laissé prendre un, la reine même !
Roxane
Alors !
Cyrano, s'exaltant.
J'eus comme Buckingham1 des souffrances muettes,
J'adore comme lui la reine que vous êtes,
Comme lui je suis triste et fidèle…
Roxane
Et tu es
Beau comme lui !
Cyrano, à part, dégrisé.
C'est vrai, je suis beau, j'oubliais !
Roxane
Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille…
Cyrano, poussant Christian vers le balcon.
Monte !
Roxane
Ce goût de cœur…
Cyrano
Monte !
Roxane
Ce bruit d'abeille…
Cyrano
Monte !
Christian, hésitant.
Mais il me semble, à présent, que c'est mal !
Roxane
Cet instant d'infini !…
Cyrano
Monte donc, animal !
Christian s'élance, et par le banc, le feuillage, les piliers, atteint les balustres qu'il enjambe.
Christian
Ah ! Roxane !
Il l'enlace et se penche sur ses lèvres.
Cyrano
Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
Baiser, festin d'amour, dont je suis le Lazare2 !
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, III, 10, v. 1505-1535, 1897.
Étudiez le thème du masque dans la pièce.
Vous pouvez vous appuyer sur les citations ci-contre.
a. "Puis on sourit, on dit : "Il va l'enlever… » Mais / Monsieur de Bergerac ne l'enlève jamais." (I, 2)
b. "Roxane, masquée, suivie de la duègne, paraît derrière le vitrage." (II, 5)
c. "Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais… chanter, / Rêver, rire, passer, être seul, être libre, / Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, / Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, / Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !" (II, 8).
d. "Fais tout haut l'orgueilleux et l'amer, mais tout bas, / Dis-moi tout simplement qu'elle ne t'aime pas !"(II, 8) ;
e. "Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège J'ose être enfin moi-même, et j'ose…", "Si nouveau… mais oui… d'être sincère : La peur d'être raillé, toujours au cœur me serre…" (III, 7).
f. "De guiche, qui entre, masqué, tâtonnant dans la nuit", "Oui, c'est là. J'y vois mal. Ce masque m'importune !" (III, 13).
g. "De Guiche : D'où tombe cet homme ? / Cyrano, se mettant sur son séant, et avec l'accent de Gascogne : De la lune !" (III, 13)
h. Les Gascons cachent la nourriture et font semblant lors de la visite de Guise (IV, 7).
i. Cyrano fait comme si tout allait bien lors de sa dernière visite (V, 5).
1. Relevez les différents décors présents sur scène, et les différentes époques auxquelles se déroule l'action, dans le tableau ci-contre.
2. À quel genre appartient la pièce ? Quelles sont les caractéristiques de ce genre ?
3. Cyrano de Bergerac, une pièce moderne ?
Actes | I | II | III | IV | V |
---|---|---|---|---|---|
Moment | |||||
Lieu | |||||
Action |
1. Qu'est-ce qui fait l'intérêt de ces récits de voyage ?
2. De quelles qualités les héros de ces récits font-ils preuve ?
Le véritable Savinien de Cyrano de Bergerac est l'auteur d'un récit de voyage dans la lune. Dans cet extrait, le narrateur raconte comment, après plusieurs tentatives infructueuses, il parvient à se rendre sur la lune à bord d'une machine entourée de fusées volantes.
À peine y eus-je les deux pieds que me voilà enlevé dans la nue. L'épouvantable horreur dont je fus consterné ne renversa point tellement les facultés de mon âme, que je ne me sois souvenu depuis de tout ce qui m'arriva dans cet instant. Vous saurez donc que la flamme ayant dévoré un rang de fusées (car on les avait disposées six à six, par le moyen d'une amorce qui bordait chaque demi-douzaine) un autre étage s'embrasait, puis un autre, en sorte que le salpêtre embrasé éloignait le péril en le croissant. [...] Quand j'eus percé, selon le calcul que j'ai fait depuis, beaucoup plus des trois quarts du chemin qui sépare la terre d'avec la lune, je me vis tout d'un coup choir les pieds en haut, sans avoir culbuté en aucune façon. Encore ne m'en fus-je pas aperçu, si je n'eusse senti ma tête chargée du poids de mon corps. Je connus bien à la vérité que je ne retombais pas vers notre monde ; car encore que je me trouvasse entre deux lunes, et que je remarquasse fort bien que je m'éloignais de l'une à mesure que je m'approchais de l'autre, j'étais très assuré que la plus grande était notre terre ; pour ce qu'au bout d'un jour ou deux de voyage, les réfractions éloignées du soleil venant à confondre la diversité des corps et des climats, il ne m'avait plus paru que comme une grande plaque d'or ainsi que l'autre ; cela me fit imaginer que j'abaissais vers la lune, et je me confirmai dans cette opinion, quand je vins à me souvenir que je n'avais commencé de choir qu'après les trois quarts du chemin. "Car, disais-je en moi-même, cette masse étant moindre que la nôtre, il faut que la sphère de son activité soit aussi moins étendue, et que, par conséquent, j'aie senti plus tard la force de son centre. » Après avoir été fort longtemps à tomber, à ce que je préjuge (car la violence du précipice doit m'avoir empêché de le remarquer), le plus loin dont je me souviens est que je me trouvai sous un arbre embarrassé avec trois ou quatre branches assez grosses que j'avais éclatées par ma chute, et le visage mouillé d'une pomme qui s'était écachée contre. Par bonheur, ce lieu-là était, comme vous le saurez bientôt, le Paradis terrestre, et l'arbre sur lequel je tombai se trouva justement l'Arbre de Vie. Ainsi vous pouvez bien juger que sans ce miraculeux hasard, j'étais mille fois mort.
Savinien de Cyrano de Bergerac, Histoire comique des États et Empires de la Lune, 1657.
Cyrano, rayonnant.
C'est à Paris que je retombe !
(Tout à fait à son aise, riant, s'époussetant, saluant.)
J'arrive - excusez-moi ! - Par la dernière trombe.
Je suis un peu couvert d'éther. J'ai voyagé !
J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai
Aux éperons, encor, quelques poils de planète !
(Cueillant quelque chose sur sa manche.)
Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète !…
(Il souffle comme pour le faire envoler.)
De guiche, hors de lui.
Monsieur !…
Cyrano, au moment où il va passer, tend sa jambe comme pour y montrer quelque chose et l'arrête.
Dans mon mollet je rapporte une dent
De la Grande Ourse, - et comme, en frôlant le Trident,
Je voulais éviter une de ses trois lances,
Je suis aller tomber assis dans les Balances, -
Dont l'aiguille, à présent, là-haut, marque mon poids !
(Empêchant vivement De Guiche de passer et le prenant à un bouton du pourpoint.)
Si vous serriez mon nez, Monsieur, entre vos doigts,
Il jaillirait du lait !
De guiche.
Hein ? du lait ?…
Cyrano.
De la Voie
Lactée !…
De guiche.
Oh ! par l'enfer !
Cyrano.
C'est le ciel qui m'envoie !
(Se croisant les bras.)
Non ! croiriez-vous, je viens de le voir en tombant,
Que Sirius, la nuit, s'affuble d'un turban ?
(Confidentiel.)
L'autre Ourse est trop petite encor pour qu'elle morde !
(Riant.)
J'ai traversé la Lyre en cassant une corde !
(Superbe.)
Mais je compte en un livre écrire tout ceci,
Et les étoiles d'or qu'en mon manteau roussi
Je viens de rapporter à mes périls et risques,
Quand on l'imprimera, serviront d'astérisques !
De guiche.
À la parfin, je veux…
Cyrano.
Vous, je vous vois venir !
De guiche.
Monsieur !
Cyrano.
Vous voudriez de ma bouche tenir
Comment la lune est faite, et si quelqu'un habite
Dans la rotondité de cette cucurbite ?
De guiche, criant.
Mais non ! Je veux…
Cyrano.
Savoir comment j'y suis monté.
Ce fut par un moyen que j'avais inventé.
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, III, 13, 1897.
Le Voyage dans la Lune est sorti en salle en 1902. Ce court-métrage, adapté du célèbre roman de Jules Verne, est considéré comme le premier film de science-fiction.
Mélies, Le Voyage dans la Lune, 1902.
Scénographe, on vous demande de réfléchir à un dispositif scénique original pour Cyrano de Bergerac.
Vous présentez votre projet avec des supports variés : textes, mais aussi plans, schémas, illustrations ou maquettes.
Choisissez l'une des scénographies ci-contre et proposez-en une analyse.
Mise en scène d’Edmond Rostand (Théâtre de la Porte Saint-Martin, 1897). |
Mise en scène de Denis Podalydes (Comédie-Française, 2006). |
Mise en scène de Dominique Pitoiset (Théâtre de la Porte Saint-Martin, 2013). |
Mise en scène de Jean Liermier (Théâtre de Carouge, 2017). |
Vous étudierez le dénouement de Cyrano de Bergerac.
Cyrano, est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement.
Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
(On veut s'élancer vers lui.)
- Ne me soutenez pas ! - Personne !
(Il va s'adosser à l'arbre.)
Rien que l'arbre !
(Silence.)
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
- Ganté de plomb !
(Il se raidit.)
Oh ! mais !… puisqu'elle est en chemin,
Je l'attendrai debout,
(Il tire l'épée.)
et l'épée à la main !
Le bret.
Cyrano !
Roxane, défaillante.
Cyrano !
(Tous reculent épouvantés.)
Cyrano.
Je crois qu'elle regarde…
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
(Il lève son épée.)
Que dites-vous ?… C'est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
- Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ! - Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
(Il frappe de son épée le vide.)
Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
(Il frappe.)
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
- Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
(Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.)
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
(Il s'élance l'épée haute.)
et c'est…
(L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.)
Roxane, se penchant sur lui et lui baisant le front.
C'est ?…
Cyrano, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant.
Mon panache.
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, V, 6, 1897.
La pièce d'Edmond Rostand, écrite pour l'acteur Coquelin Aîné, est représentée pour la première fois en 1897 au théâtre de la Porte Saint-Martin.
À l'époque, les mouvements littéraires dominants sont le naturalisme et le symbolisme. Cyrano de Bergerac n'appartient à aucun de ces mouvements. Elle se rattache plutôt au drame romantique tel qu'il a été pensé par Victor Hugo. Contrairement au théâtre classique, le drame romantique mélange des éléments de tragédie et de comédie, ne respecte pas les unités de temps, de lieu et d'action, et s'inspire de l'Histoire 'récente' plutôt que de l'Antiquité.
La pièce s'appuie sur le personnage de Cyrano de Bergerac, inspiré par un écrivain du XVIIème siècle, auteur -entre autres- d'un récit de voyage dans la lune.
La pièce s'étale sur 15 ans, entre 1640 et 1655 ; les trois premiers actes se déroulent à Paris, le quatrième près d'Arras, et le cinquième dans le parc d'un couvent parisien.
La pièce fait sans cesse référence à la nourriture : Cyrano jeûne dans les actes I et V, les poètes et les cadets dans les actes II et IV, et dans les deux cas ces groupes sont nourris par Ragueneau. L'opposition entre la poésie et la cuisine (entre l'esprit et le corps) est un symbole de la situation de Cyrano. La nourriture est aussi une métaphore de l'amour. Ceux qui mangent n’aiment pas, ceux qui aiment ne mangent pas.
Roxane est une précieuse.
Phénomène social, la préciosité désigne l'influence qu'eurent les femmes du monde à travers les salons, lieux de jeux d'écriture et de débats intellectuels. Phénomène littéraire, la préciosité oriente la littérature vers l'étude de toutes les nuances du sentiment amoureux. Phénomène linguistique, la préciosité vise à simplifier et à purifier la langue en écartant des mots jugés trop 'crus'.
Dans la pièce, les masques sont omniprésents. Il y a les masques réels, que portent Roxane (II, 5) et De Guiche (III, 13). Mais il y a aussi des masques au sens imagé : en société, on ment, on ne dit pas ce qu'on pense. Cyrano, lui, affirme qu'il ne fait pas de compromis (la tirade des 'Non merci', II, 8), qu'il ne porte de masque. Mais en fait, Christian est son masque.
La pièce est contemporaine des débuts du cinéma, avec lequel elle présente plusieurs points communs :
- Les décors sont nombreux, très détaillés, avec une profondeur importante... Plus qu'un simple décor, la scène doit donner l'illusion d'être un lieu réel. Le travail sur le son (et donc l'ambiance) est important.
- La pièce propose de nombreuses scènes d'action, avec duels, voyages (l'arrivée du carrosse de Roxane), batailles (l'attaque du camp)... On est dans un film d'aventures.
On note d'ailleurs que le premier film parlant est une captation d'une scène de la pièce (1900) et que la pièce évoque les voyages dans la lune mis à la mode par Jules Verne et représenté au cinéma par Méliès en 1902.
Cyrano est une pièce très spectaculaire. Ce spectaculaire est-il indispensable au théâtre ? Un théâtre sans spectaculaire, avec uniquement du texte, court le risque d'ennuyer : comme le disent Diderot et Hugo, en France, l'accent a longtemps été mis sur le texte, plutôt que sur l'action, alors qu'une pièce utilise de nombreuses ressources : acteurs, décors (v. par exemple le décor de P.-L.-C. Ciceri pour l'opéra Robert le diable, 1831). Mais le théâtre n'est pas qu'un spectacle pour les yeux : les scènes les plus marquantes ne sont pas forcément spectaculaires (l'acte V de Cyrano), et le théâtre a aussi pour but d'apprendre quelque chose au spectateur. En fait, il y a un équilibre entre texte et spectacle qui se modifie à chaque représentation et pour chaque spectateur : à chaque représentation, parce que le rôle du metteur en scène est déterminant (v. la mise en scène de Phèdre par Chéreau) ; pour chaque spectateur, parce que l'imagination joue un rôle essentiel : "La meilleure oeuvre de ce genre est faite d'illusions ; et la pire n'est pas si mauvaise quand l'imagination y supplée." (Shakespeare).
Les scénographies contemporaines prennent souvent une certain liberté par rapport aux indications contenues dans les didascalies : celle de Denis Podalydes (Comédie-Française, 2006) propose des décors peu réalistes mais très esthétiques ; celle de Dominique Pitoiset (Théâtre de la Porte Saint-Martin, 2013) transpose la pièce dans un hôpital psychiatrique contemporain ; celle de Jean Liermier (Théâtre de Carouge, 2017) transpose Cyrano à l'époque de la première guerre mondiale et remplace le balcon par une passerelle.