Problématique : L'imagination, ennemie ou alliée de la raison ?
1. Lisez la morale de la fable 'La Laitière et le Pot au lait'. Cette morale vous paraît-elle faire l'éloge ou la critique de l'imagination ?
2. Comparez la morale de la fable avec le texte de Fontenelle (document B). Les deux textes disent-ils, selon vous, la même chose sur l'imagination ?
Quelle image de l'imagination Fontenelle donne-t-il dans ce texte ?
1. Battre la campagne : divaguer, déraisonner, partir à la dérive.
2. Picrochole : roi fictif qui, dans le roman Gargantua, déclenche une guerre pour un prétexte futile en s'imaginant conquérir le monde.
3. Pyrrhus : roi antique, adversaire de Rome.
4. Sophi : roi de Perse.
Quel esprit ne bat la campagne ?1
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole2, Pyrrhus3, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi4 ;
On m'élit roi, mon peuple m'aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean comme devant.
Jean de La Fontaine, Fables, VII, 9, 1678.
Assurons-nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point.
Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d'Allemagne, que je ne puis m'empêcher d'en parler ici.
En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie, âgé de sept ans, il lui en était venu une d'or, à la place d'une de ses grosses dents. Horatius, professeur en médecine à l'université de Helmstad, écrivit, en 1595, l'histoire de cette dent, et prétendit qu'elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu'elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens, et aux Turcs. En la même année, afin que cette dent d'or ne manquât pas d'historiens, Rullandus en écrit encore l'histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d'or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit sur la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu'il fût vrai que la dent était d'or. Quand un orfèvre l'eût examinée, il se trouva que c'était une feuille d'or appliquée à la dent avec beaucoup d'adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l'orfèvre.
Rien n'est plus naturel que d'en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que non seulement nous n'avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d'autres qui s'accommodent très bien avec le faux.
Fontenelle, Histoire des Oracles, 1687.
Quel est, selon l'auteur, l'effet de l'imagination ?
1. Faites une recherche documentaire sur les légendes qui ont affolé la population au xviie s.
2. Qu'est-ce qui, selon vous, frappe l'imagination dans ces légendes ?
Dans la préface à sa traduction des sermons de saint Augustin, parue en 1694, Goibaut Du Bois s'en prend à l'éloquence imaginative des prédicateurs. Le Grand Arnauld lui répond la même année avec ses Réflexions sur l'éloquence des prédicateurs.
On a aussi peu de raisons de dire que c'est une faculté fort dangereuse, que si on le disait de la vue, de l'ouïe, ou de quelqu'autre sens extérieur : mais on doit reconnaître que c'est une faculté bonne en soi, qui nous a été donnée de Dieu, aussi bien dans les sens extérieurs par une suite comme nécessaire de l'union de notre esprit avec un corps, et que surtout on ne lui doit attribuer ni erreur, ni vérité ; parce que la vérité et l'erreur ne se trouvent que dans nos jugements, et que l'imagination ne juge de rien.
Mais il y a des effets ou bons ou mauvais, qu'on peut attribuer à l'imagination, comme cause occasionnelle en bien ou en mal, tant à l'égard de l'entendement que de la volonté. Car ne jugeant de rien, elle est souvent occasion à l'entendement de juger bien, ou de juger mal : et ne désirant rien, elle est souvent occasion à la volonté d'avoir de bons ou de mauvais désirs. C'est ce qu'il est important de montrer : mais comme je ne dirai rien qui ne soit connu de tout le monde, je ne ferai que le proposer sans en chercher la raison.
La physique aussi bien que les sciences et les arts qui en dépendent, comme la médecine, l'astronomie, l'architecture, l'agriculture, l'art de naviguer sont principalement fondés sur l'expérience ; c'est-à-dire, sur des faits singuliers qu'on a vu ou connu par d'autres sens arriver de la même sorte ; d'où on a formé des jugements quelquefois bons, quelquefois mauvais, ce qui a fait dire à Hippocrate : Experientia fallax ; mais il y en a de si bons et de si vérifiés, qu'on ne craint pas de s'y tromper ; par exemple, l'avantage qu'on a tiré pour la navigation de l'aiguille aimantée, pour savoir certainement de quel côté est le Nord. Qui peut douter qu'en ce cas, et en une infinité d'autres semblables, l'imagination (car tout ce qui s'aperçoit par les sens est porté des sens à l'imagination) n'ait pas été la cause occasionnelle d'une vérité très utile aux hommes ?
Antoine Arnauld, Réflexions sur l'éloquence des prédicateurs, XI, 1694.
Résumez le texte ci-contre en 150 mots environ.
Dans une de ses gravures, le peintre espagnol Goya affirme : "le sommeil de la raison engendre des montres". Selon vous, l'imagination des individus et des foules produit-elle "des monstres" ?
Vous en avez entendu parler. Pendant le mouvement des "gilets jaunes", une rumeur a circulé, suscitant l'indignation. Emmanuel Macron s'apprêtait à signer le pacte de Marrakech, un traité par lequel la France abdiquait, au profit de l'ONU, sa souveraineté en matière migratoire. Le Monde a décrit l'itinéraire mondial de cette infox, alimentée par l'extrême droite américaine, relayée par divers groupuscules, puis par des citoyens scandalisés, à coups de messages et de vidéos virales. Le texte du pacte, en réalité, est une déclaration d'intention sans valeur contraignante. Comment comprendre le succès d'une rumeur aussi facile à démentir? La tentation est grande de blâmer les réseaux sociaux et, plus largement, le monde de "post-vérité" dans lequel nous serions, dit-on, entrés. C'est le refrain de l'époque : toutes les opinions se valent, Internet propage les rumeurs les plus folles, l'esprit critique a disparu et les infox se répandent comme des traînées de poudre.
Pourtant, la propagation de fausses nouvelles n'a rien d'une nouveauté, surtout en période de crises sociales et politiques. Au XVIIIe siècle, lors de chaque disette, une rumeur réapparaissait, celle du "pacte de famine", un complot organisé au sommet de la monarchie et visant à affamer le peuple. Cette rumeur, bien étudiée par l'historien américain Steven Kaplan, fut particulièrement vive en 1768 et 1775, lorsque les réformes libérales du commerce des grains se soldèrent par une hausse du prix du pain. Bruits publics, placards séditieux, émeutes : le peuple opposait une conception morale de l'économie, selon laquelle le roi se devait d'assurer la subsistance des sujets, à la nouvelle économie politique portée par les physiocrates. En face, les élites et les ministres éclairés comme Turgot s'étonnaient de la résistance populaire, au point d'imaginer, à leur tour, de sombres complots. En réalité, le succès de la rumeur reposait sur un imaginaire politique qui accordait au pain un rôle crucial, à la fois vital et symbolique. Par sa récurrence tout au long du siècle, le thème du complot de famine a contribué à désacraliser la personne du roi, à rompre les liens affectifs qui attachaient la population au souverain.
Longtemps, les historiens ont dédaigné les rumeurs. Marc Bloch (1886-1944), le grand médiéviste, fut un des premiers à en percevoir tout l'intérêt. Mobilisé pendant la première guerre mondiale, il fut frappé par la circulation rapide des fausses nouvelles, souvent invérifiables, qui exerçaient, y compris sur lui, une puissante attraction. Convaincu qu'il fallait appliquer à la compréhension du présent les mêmes méthodes qu'à l'étude du passé, il publia un texte court mais suggestif, Réflexions d'un historien sur les fausses nouvelles de la guerre. Il invitait à étudier les "profonds frémissements sociaux" qui permettent aux rumeurs de soulever les foules et de déstabiliser les pouvoirs. "En elles, inconsciemment, les hommes expriment leurs préjugés, leurs haines, leurs craintes, toutes leurs émotions fortes." Encore faut-il suivre leur diffusion : surgissement spontané ou manipulation malveillante, bouche-à-oreille ou caisse de résonance médiatique, méfiance ou désintérêt des autorités.
Les "fake news", ou infox, sont le nouveau nom d'un vieux phénomène. Ce n'est pas leur apparition qui surprend, mais leur persistance. Ni les progrès de l'éducation, ni l'accès de tous au marché de l'information, ni même la pratique journalistique du "fact checking" ne semblent avoir d'effet. Marc Bloch pensait que la censure favorisait la rumeur : en l'absence d'informations officielles, l'oralité reprendrait ses droits et l'incertitude alimenterait la crédulité. Aujourd'hui, l'inverse semble vrai : l'abondance des nouvelles et la liberté de la presse n'ont pas tari les rumeurs. Le paradoxe n'est peut-être qu'apparent : ce n'est pas tant la censure qui encourage la rumeur que la méfiance à l'égard des médias officiels, qu'ils soient muets ou bavards. Méfiance réciproque : les infox, comme les rumeurs de jadis, alimentent un complotisme inversé : derrière toute fausse nouvelle, nous imaginons désormais la main des hackeurs russes.
Antoine Lilti, historien, Le Monde Idées, samedi 22 décembre 2018.
Selon vous, l'imagination est-elle toujours une "ennemie de la raison", une "maîtresse d'erreur et de fausseté" ?
Résumez le texte ci-contre en 250 mots.
Vous mettrez une marque tous les 50 mots.
Pensez-vous, comme le suggère Stéphane Foucquart, que l'imagination puisse nous aider à résoudre les problèmes du monde contemporain ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur le texte de l'exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés. Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.
Pensez-vous, comme Neil Gaiman, que "notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l'imagination" ?
C'est une photo entêtante. De celles qui demeurent en mémoire longtemps après que le journal a fini au rebut. Publié fin mars dans l'édition internationale du New York Times, le cliché semble tout droit sorti d'une fiction d'anticipation post-apocalyptique. Il montre un paysage d'inondation. Sous un ciel gris-blanc, une dizaine d'hommes dépenaillés et hirsutes sont là, au milieu de ballots de paille, accroupis sur une digue de fortune, une sorte d'empierrement en fragile surplomb d'une vaste plaine de boue et de vase, dont l'humidité miroite jusqu'à l'horizon, où l'on devine que les eaux du Gange et du Brahmapoutre se mêlent au golfe du Bengale.
L'image, signée Kadir von Lohuizen, ne montre pas les conséquences d'un de ces désastres ponctuels qui scandent depuis des siècles l'histoire de cette région du Bangladesh. Elle donne à voir une lente tragédie en cours, celle des paysans bangladais face à la montée de l'océan, l'une des conséquences majeures du réchauffement. Un titre chapeaute la photo : "Jours comptés sur une terre qui disparaît". Et le texte au-dessous raconte des histoires à vous crever le coeur, celles des hommes et des femmes qui chaque année doivent quitter leurs terres, peu à peu rendues stériles par l'irrépressible avancée de la mer.
S'il ne fallait retenir qu'une seule photo de l'année qui s'achève, ce pourrait être celle-ci. D'abord parce que 2014 aura été l'année du cinquième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Mais aussi, et surtout, parce que cette image dit quelque chose de notre incrédulité face aux conséquences de nos propres actions : l'histoire qu'elle raconte nous semble si lointaine et si irréelle qu'elle pourrait tout aussi bien former l'arrière-plan d'une oeuvre de science-fiction.
C'est la rapidité des bouleversements imposés à l'environnement qui produit cette étrangeté. Alors que les citadins occidentaux imaginent que ces bouleversements ne seront un problème que dans un futur lointain et hypothétique - une bonne part les tient même pour de purs fantasmes -, d'autres populations les vivent et les affrontent déjà au quotidien. La science-fiction des uns est, en somme, devenue l'actualité des autres.
Ce chevauchement est à double sens. De même que l'actualité nous semble parfois emprunter à la science-fiction, la science-fiction elle-même puise de plus en plus dans l'actualité. Sept secondes pour devenir un aigle (Le Bélial', 352 p., 19 euros), le recueil de nouvelles de Thomas Day couronné cette année au Festival Étonnants Voyageurs par le Grand prix de l'imaginaire, est à ce titre emblématique. Il y est question de la conservation du tigre en Asie du Sud-Est, de minorités ethniques en butte aux sociétés pétrolières, d'éco-terrorisme, de pilleurs écumant la zone interdite autour de la centrale accidentée de Fukushima... Autant d'histoires sur notre relation à la nature qui pourraient, à quelques détails près, faire la "une" de l'actualité.
"La science-fiction est le reflet de la société dans laquelle elle est produite et il est indéniable que la question environnementale prend depuis quelques années de plus en plus de place, rappelle Olivier Girard, patron et fondateur du Bélial, maison d'édition indépendante spécialisée dans les littératures de l'imaginaire. Cela nourrit, par exemple, un retour du genre post-apocalyptique, fruit d'une tradition ancienne de la science-fiction qui avait eu tendance à disparaître pendant les "trente glorieuses"."
Que faut-il savoir, que faut-il lire, pour se faire l'idée la plus vérace de ce qui vient ? La science se construit trop lentement face à l'accélération de la crise écologique; le recours à l'imagination devient de plus en plus naturel. En avril, les historiens Naomi Oreskes (université Harvard) et Erik Conway (NASA) n'ont ainsi pas hésité à passer outre les tabous du monde académique pour composer une oeuvre de pure science-fiction, imaginant les conséquences, à moyen terme, du réchauffement sur la stabilité de nos sociétés (L'Effondrement de la civilisation occidentale, Les Liens qui libèrent, 128 p., 13,90 euros).
La science-fiction peut donc être un outil pour donner à voir les conséquences de nos actions sur l'environnement. Mais elle est bien plus qu'un instrument de diagnostic. "Rattrapée par toutes sortes de réalités, en particulier la réalité écologique, la science-fiction doit se réinventer, dit Olivier Girard. Et l'enjeu dépasse largement le devenir d'un genre littéraire : la science-fiction est aussi ce qui permet aux jeunes générations d'investir et de s'approprier l'avenir."
Faut-il prendre cela au sérieux ? Dans une conférence donnée en octobre 2013 à Londres et accessible depuis peu en français (Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l'imagination, Au Diable Vauvert, 24 p., offert par l'éditeur et l'auteur), le scénariste et romancier britannique Neil Gaiman offre cette histoire édifiante : "Je me trouvais en Chine, en 2007, lors de la première convention de science-fiction et de fantasy de l'histoire chinoise à être approuvée par le Parti. A un moment, j'ai pris à part un officiel de haut rang et je lui ai demandé : "Pourquoi ?" La science-fiction faisait depuis longtemps l'objet d'une désapprobation, qu'est-ce qui avait changé ?" "C'est simple, m'a-t-il répondu. Les Chinois excellaient à créer des choses si d'autres leur en apportaient les plans. Mais ils n'innovaient pas, ils n'inventaient pas. Ils n'imaginaient pas. Aussi ont-ils envoyé une délégation chez Apple, Microsoft, Google et ils ont posé là-bas, aux gens qui inventaient le futur, des questions sur eux-mêmes. Et ils ont découvert que tous lisaient de la science-fiction lorsqu'ils étaient enfants."
Stéphane Foucart, "Les vérités de l'imaginaire", Le Monde, 30 décembre 2014.