— Alors, qu'est-ce qui lui est arrivé au prince, hein ? J'attends !
Ces parents qui jamais, jamais, quand ils lui lisaient un livre ne se souciaient de savoir s'il avait bien compris que la Belle dormait au bois parce qu'elle s'était piquée à la quenouille, et Blanche-Neige parce qu'elle avait croqué la pomme. (Les premières fois, d'ailleurs, il n'avait pas compris, pas vraiment. Il y avait tant de merveilles, dans ces histoires, tant de jolis mots, et tellement d'émotion ! [...])
— Je répète ma question : qu'est-ce qui est arrivé à ce prince quand son père l'a chassé du château ?
Nous insistons, nous insistons. Bon Dieu, il n'est pas pensable que ce gosse n'ait pas compris le contenu de ces quinze lignes ! Ce n'est tout même pas la mer à boire, quinze lignes !
Nous étions son conteur, nous sommes devenu son comptable.
Pennac, D. (1995). Comme un roman. Gallimard.
Soient les extraits des deux livres suivants :
- Sepúlveda, L. (1989). Le vieux qui lisait des romans d'amour. Éditions du Seuil.
- Pennac, D. (1992). Comme un roman. Éditions Gallimard.
Que vous inspire la lecture de ces deux extraits ?
Quelles conséquences, en particulier, sur la didactique de la lecture ?
Dans un autre de ses romans, Oreiller d'herbes, Sôseki nous présente un peintre qui s'est retiré dans les montagnes pour faire le point sur son art. Un jour entre dans la pièce où il travaille la fille de sa logeuse, qui, le voyant avec un livre, lui demande ce qu'il est en train de lire. Le peintre lui répond qu'il l'ignore, puisque sa méthode consiste à ouvrir le livre au hasard [...]. La femme lui demande alors de lui montrer comment il lit, ce qu'il accepte de faire, en lui donnant au fur et à mesure une traduction japonaise du livre anglais qu'il a en main. Il y est question d'un homme et d'une femme dont on ignore tout sinon qu'ils se trouvent sur un bateau à Venise. [...]
- Qui sont cet homme et cette femme ?
- Moi-même je n'en sais rien. Mais c'est justement pour cela que c'est intéressant. On n'a pas à se soucier de leurs relations jusque-là. Tout comme vous et moi qui nous retrouvons ensemble, ce n'est que cet instant qui compte.
Bayard P. (2007). Comment parler des livres qu'on n'a pas lus. Les Editions de Minuit.
Si l'on admet que la lecture littéraire est un processus dialectique qui requiert de la part des sujets lecteurs implication (lecture subjective) et distanciation (lecture objective), sensibilité éthique et/ou esthétique et examen critique, sont dès lors à reconsidérer la place et le rôle de la contextualisation des textes dans l'enseignement et l'apprentissage de la lecture littéraire. Généralement, le professeur croit devoir, avant toute lecture, enrichir l'encyclopédie lacunaire des élèves. Or, de toute évidence, ce travail de "contextualisation", très souvent assuré par l'enseignant lui-même, parasite la "lecture actualisante" que les élèves lecteurs peuvent réaliser. On occulte alors leur réception effective et personnelle du texte et on leur ôte la possibilité d'interroger non seulement ces textes du passé à la lumière de leur présent, mais également leur présent à la lumière de ce que ces textes ont à leur dire des générations passées. Certaines des expérimentations présentées et analysées dans l'ouvrage montrent que la contextualisation des textes patrimoniaux, lorsqu'elle intervient dans l'après-coup de leur actualisation par les élèves, nourrit leur lecture au lieu de l'induire.
Ahr, S. (2018). Former à la lecture littéraire. Réseau Canopé.
Nos étudiants et étudiantes abordent la littérature médiévale à partir de qui ils sont, à partir de leurs propres interrogations et de leurs attentes. Nous sourions de leur inculture, de leur naïveté, quoiqu'elle fût la nôtre il y a quelques années. Nous avons appris entre temps à replacer les textes dans leur contexte historique à ne pas leur demander de dire ce qu'ils ne peuvent pas dire. Mais notre attitude n'est-elle pas en fin de compte stérilisante ? Replacer, comme on dit, le texte dans son contexte, pour éviter d'y projeter de manière anachronique nos propres valeurs, nous oblige soit à enfiler des œillères sur tout ce qui nous dérange, soit à détacher le fond de la forme, à nous concentrer sur la forme en déposant le fond sur le rayon des questions incongrues où inutiles, au risque de décourager nos étudiant-e-s de suivre nos cours où de s'engager dans la recherche dans cette discipline. Notre enseignement est donc supposé reposer sur une partition entre nos réactions humaines et notre regard technique. Mais est-il seulement possible face aux étudiants et étudiantes de s'en tenir à la stylistique du texte ? À quoi bon lire un texte, s'il n'est qu'un bibelot d'inanité sonore ? Dénuée de tout enjeu culturel où moral, la littérature médiévale n'est qu'un ensemble de mots qui ne nous disent rien.
Brouzes, C. Denoyelle, C. (2018) Enjeux culturels et moraux de l'enseignement de la littérature médiévale. Dans : Rouviere, N. Enseigner la littérature en questionnant les valeurs. Peter Lang Gmbh, Internationaler Verlag Der Wissenschaften.
Plus encore que les autres auteurs rencontrés, Montaigne, avec ses expériences répétées d’éclipsé de soi, donne le sentiment d’effacer toute limite entre lecture et non-lecture. Dès lors en effet que tout livre lu commence immédiatement à disparaître de la conscience, au point qu’il devient impossible de se rappeler si on l’a lu, la notion même de lecture tend à perdre toute pertinence, n’importe quel livre, ouvert ou non, finissant par équivaloir à n’importe quel autre. Si elle semble grossir le trait, la relation de Montaigne aux livres ne fait pourtant que dire la vérité de la relation que nous entretenons avec eux. Nous ne gardons pas en notre mémoire des livres homogènes, mais des fragments arrachés à des lectures partielles, souvent mêlés les uns aux autres, et de surcroît remaniés par nos fantasmes personnels : des bribes de livres falsifiées, analogues aux souvenirs-écrans dont parle Freud, qui ont surtout pour fonction d’en dissimuler d’autres. Plus que de lecture, c’est de délecture qu’il faudrait alors parler à la suite de Montaigne, pour qualifier ce mouvement incessant d’oubli des livres dans lequel nous sommes entraînés : un mouvement fait à la fois de disparition et de brouillage des références, qui transforme les livres, souvent réduits à leurs titres ou à quelques pages approximatives, en ombres vagues glissant à la surface de notre conscience.
Bayard, P. (2007). Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? Les Editions de Minuit.
Soient les deux nouvelles suivantes :
Cortazar, J. (1959). "Continuité des parcs", Les Armes secrètes, trad. C. et R. Caillois, éd. Gallimard.
Borges, J. L. (1978). "Le Livre de sable". Le Livre de Sable.
La fin de chacune de ces nouvelles a été tronquée d'une ou plusieurs lignes.
1. Choisissez l'une de ces deux nouvelles, imaginez et écrivez-en la ou les dernières lignes.
2. Selon vous, que nous dit chacun de ces textes sur la lecture ?